Témoignages des Présidents du Parlement européen : Pat Cox
La mission de Président du Parlement européen est plus facile à décrire qu’à remplir. Invité par mon ami, ancien collègue et successeur, le Président Hans-Gert Pöttering, à célébrer le cinquantenaire de cette Institution, nombreux ont été les moments clés qui me sont venus à l’esprit. En relisant une allocution prononcée à la fin de mon mandat, je me suis souvenu de l’intensité de cette fonction. Pourtant, mon coeur n’a cessé de battre à l’unisson tout au long de cette aventure. Cela a commencé l’année de mon élection au Parlement, alors que je ne pouvais prévoir ni même imaginer avoir un jour le privilège de devenir Président. 1989 a été une année spéciale, l’annus mirabilis.
Session plénière à Strasbourg – Élection de Pat Cox au poste de Président du Parlement européen © Union européenne 2002 – Parlement européen
Pour les peuples d’Europe centrale et orientale, elle a marqué un nouveau départ. En effet, la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, a permis à des décennies d’aspiration à la liberté de trouver leur expression. Des échos des rues de Budapest de 1956 jusqu’à la lutte décennale courageuse de Solidarnosc en Pologne, elle s’est poursuivie par la révolution de velours de Prague et les révolutions chantantes des pays baltes pour aboutir à l’implosion finale de l’Union soviétique et à la réunification allemande. Ce qui s’est passé à Berlin en ce mois de novembre 1989 a été une bouffée d’air frais. Alors député au Parlement pour la première fois, élu à peine quelques mois plus tôt, j’ai respiré cet oxygène enivrant du changement. Lorsque j’ai eu le privilège d’exercer les fonctions de Président du Parlement européen en 2002, le parcours de maturation de ces États et peuples vers l’adhésion à l’UE avait atteint un tournant. Réunir une Europe divisée par le poids oppressant de l’histoire et non par choix, afin de partager des valeurs communes et la prospérité, était la priorité des priorités politiques et la passion dévorante qui a marqué ce mandat.
En tant que députés, nous avons beaucoup contribué à cet objectif. Au travers du travail accompli avec dévouement par la commission des affaires étrangères et ses rapporteurs, des initiatives des délégations parlementaires mixtes et des groupes politiques, des travaux du Bureau et de la Conférence des Présidents, le Parlement européen a contribué à faire progresser le débat en le déplaçant du champ stérile de l’acquis vers les réflexions dynamiques du moment. Nous avons mis la vigueur de la politique parlementaire au service de ce défi.
Nous avons favorisé la recherche nécessaire de compromis entre les institutions européennes, les États membres et les pays en voie d’adhésion et en leur sein. Nous avons trouvé un accord sur les perspectives budgétaires et financières nécessaires pour faire face à ce bouleversement historique. Nous avons tenté de communiquer à l’opinion publique l’enthousiasme suscité par ce projet. Nous avons donné notre avis conforme au traité d’adhésion, préalable indispensable à son adoption par les parlements nationaux. Nous avons fait tout ce que nous devions faire, voire davantage.
Les pays en voie d’adhésion ont été confrontés à une double transformation extraordinaire, passant du communisme à l’économie de marché pour finalement adhérer à l’Union européenne. Leurs dirigeants et leurs députés ont dû assumer une lourde responsabilité. Dans un acte symbolique de solidarité politique avant l’adhésion, le Parlement européen a invité des députés de tous les pays candidats à participer à ses travaux en qualité d’observateurs. Nous nous sommes réunis pour la première fois à Strasbourg en novembre 2002 avant l’étape importante du sommet de Copenhague de décembre, observant que cela nous permettrait, au sein du Parlement européen, de faire face à la nouvelle diversité politique et culturelle de l’Europe et d’entamer un processus de compréhension mutuelle et de socialisation politique. Il s’agissait d’un investissement précoce dans l’établissement nécessaire de relations aux niveaux personnel, politique et institutionnel et une répétition avant l’heure d’une réalité future.
Dans mon introduction à ce débat, j’ai remarqué que « En tant qu’hommes politiques, l’histoire nous met au défi de réussir cet acte de réconciliation et d’apaisement de dimension réellement continentale. En tant que députés, notre défi consiste à prendre l’initiative, à remporter l’assentiment du public dans les États membres tout comme dans les pays en voie d’adhésion. Aucune campagne de relations publiques ou d’information ne peut remplacer une vraie politique reposant sur la conviction et la raison. Il est temps pour les hommes politiques de se réapproprier l’agenda de l’élargissement maintenant que les experts ont ouvert la voie ».
Lors d’un vote historique du 9 avril 2003, le Parlement a adopté une résolution sur les conclusions des négociations de Copenhague sur l’élargissement. Il a officiellement donné son avis conforme aux demandes d’adhésion des dix États qui avaient achevé les négociations. Ainsi, le traité d’adhésion a-t-il pu être signé à peine quelques jours plus tard, lors d’une cérémonie organisée à Athènes. C’est alors que, pour la première fois, les membres des parlements nationaux de tous les pays en voie d’adhésion ont été invités à participer régulièrement aux travaux du Parlement européen en tant qu’observateurs, du 1er mai 2003 jusqu’à leur pleine adhésion. Au fur et à mesure que l’élargissement progressait, il prenait un caractère inclusif et irréversible. Tout au long de cette période, le Parlement européen ne s’est pas contenté d’observer les événements, mais il a joué un rôle de chef de file en termes de contenu et de calendrier.
Session plénière au Parlement européen à Strasbourg – Cérémonie de signature du traité d’adhésion. De g. à dr. : Elmar Brok, Pat Cox, Gunter Verheugen, Reinhard Rack © Communautés européennes 2003 – Parlement européen
En tant qu’Européen irlandais, c’est avec beaucoup de fierté que j’ai assisté à la naissance officielle de l’Union européenne des 25 à Dublin le 1er mai 2004, dans le cadre d’une présidence irlandaise du Conseil de l’UE couronnée de succès. Toutefois, en tant que Président du Parlement européen, mon sens du devoir aurait voulu que cet événement soit célébré au sein du Parlement de Strasbourg, quelques semaines avant les élections parlementaires de dimension continentale qui allaient avoir lieu en juin de cette année, ce qui aurait souligné le rôle de l’Institution en tant qu’enceinte politique européenne. Les préférences allant à la participation à des manifestations traditionnelles du mois de mai et au respect d’impératifs électoraux de fin de semaine, cette dernière proposition n’a pu remporter l’assentiment de la direction du Parlement, et ce même plusieurs mois à l’avance. C’est pourquoi, le Parlement européen a célébré l’aube de cette nouvelle ère le lundi 3 mai 2004 à Strasbourg.
Seize grands mâts portant le drapeau aux douze étoiles dorées de l’Union européenne et les drapeaux nationaux des quinze États membres accueillaient le visiteur à l’entrée du Parlement de Strasbourg. L’arrivée de dix nouveaux États allait nécessiter dix nouveaux mâts. Leur taille et leur prix potentiel exigeaient, en vertu de la législation communautaire, un appel d’offres qui pouvait être remporté par un nombre indéfini de fournisseurs de quelque État que ce fût. À titre symbolique, je pensais qu’ils ne pourraient provenir que d’un seul endroit, à savoir le chantier naval de Gdansk. Des mois plus tôt, j’avais envisagé avec le Premier ministre polonais Lezek Miller la possibilité que la Pologne fasse don de ces mâts. À mon grand bonheur, il accepta immédiatement. Lorsque nous nous sommes réunis à Strasbourg en fin d’après-midi, ce premier jour de la dernière session avant les élections du Parlement européen de 2004, les dons de Gdansk à l’Europe se tenaient droits; Lech Walesa était là, son courage moral et sa force d’âme personnifiant la lutte pour la liberté; la valeur et les valeurs de Solidarité à présent consacrées par cette adhésion ambitieuse et les mâts, témoins robustes et silencieux, attendant le déploiement parlementaire symbolique des nouveaux États membres de l’Union.
Cérémonie officielle à l’occasion de l’élargissement de l’Union européenne, en présence d’invités, notamment l’ancien président polonais, Lech Wałęsa (à dr.), les présidents ou vice-présidents des parlements des nouveaux États membres et les ambassadeurs de l’Union, et le Président du Parlement européen Pat Cox (à g.) © Communautés européennes 2004
Le lauréat du prix Nobel de littérature et poète irlandais, Seamus Heaney, a écrit « le jour où un nouvel arrivant fait son apparition, qu’il se sente chez lui ». C’était un jour comme celui-ci. C’était un retour au foyer. Ce qui aurait été un rêve impossible en 1989 lorsque je suis arrivé pour la première fois au Parlement européen en tant que député était à présent une réalité, et à mes côtés se tenait Lech Walesa, « signe visible de la lutte pour une Europe unie ». « L’effort est accompli », a-t-il remarqué, « la volonté de la génération précédente est respectée ».
Il serait aisé d’attribuer un rôle exagéré au Parlement européen ou à moi-même dans ce parcours hors du commun. Un sens de la proportionnalité, la connaissance de la complexité politique et institutionnelle et un sens historique suggèrent des prétentions plus modestes. Nous avons essentiellement fait notre devoir vis-à-vis de nos concitoyens européens, fidèles à notre vocation en tant que députés européens directement élus. Nous avons été appelés à jouer notre rôle en remédiant à l’héritage et au lourd fardeau de l’histoire divisée de notre continent et en contribuant à ouvrir le chemin vers une nouvelle Europe. Nous l’avons fait. Nous avons fait notre devoir. Plus que nous, l’héritage de ce devoir perdurera et résistera aux épreuves du temps.
Je félicite le Président du Parlement pour cette initiative et je le remercie de m’avoir invité à y participer. Je félicite également le Parlement européen, ses membres et son personnel à l’occasion de ce 50e anniversaire et leur souhaite un bel avenir. Leur réussite sera celle de l’Europe.
